Chère lectrice, cher lecteur,
Ce matin en me réveillant, je me suis rappelée une prédication que j’ai faite il y a quelques années sur un passage de Qohélet qui dit "il y a un temps pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel"(Qo 3,1-8). Le temps... parfois une denrée rare qui nous file entre les doigts sans que nous nous en rendions compte. Combien de fois aurais-je aimé avoir plus de temps à ma disposition ou pouvoir l’arrêter pour un moment, surtout en cette période de l’Avent souvent très chargée ! Combien de fois me suis-je plongée dans le passé ressassant des moments qui me semblaient meilleurs que mon présent ? Combien de fois me suis-je projetée dans le futur, un temps toujours rempli de belles promesses, pour fuir un jour moins rose ? Le temps, réellement un élément qui est à notre disposition et que nous maîtrisons ?
Je me souviens avoir raconté aux personnes qui m’écoutaient alors, qu’il n'y a pas un temps d'une minute, d'une heure ou d'un jour, mais bien un temps pour rire, un temps pour pleurer, un temps pour danser ! Le temps ne serait pas en soi, n'existerait pas en tant que tel mais c'est par son contenu qu’il obtiendrait vie et forme : parler, se taire, pleurer, rire, planter, arracher, s'énerver, aimer! N’y aurait-il pas dans ce texte de Qohélet une invitation à ne pas réfléchir au temps en terme de valeur, mais plutôt de se dire que le temps, c'est de l'histoire. Et pas n'importe quelle histoire, mon histoire ! Oui, ce matin, je me suis rappelée comme il est important de vivre pleinement et consciemment le présent qu’il soit un temps de paix, de joie ou un temps qui bouleverse, perturbe et remet en question, afin qu’il devienne partie intégrante de mon histoire et qui sait, lui donne un tournant inattendu. Laissez-moi vous conter quelques-uns de ces bouts d’histoire que j’ai vécus ces derniers trois mois !
A vos marques.... Un temps pour apprendre
Mon engagement avec DM-échange et mission a débuté par un temps d’un mois de formation pédagogique et linguistique à Cuba, mais qui a également été l’occasion de faire la connaissance de personnes qui m’ont offert de précieux moments de rire et de discussions ! Voici quelques épisodes et découvertes clefs de mon séjour sur cette île :
Une petite question économique
Lors d’une rencontre de responsables de micro-projets liés à l’agriculture, deux professeures d’économie de l’université de La Havane ont été invitées à parler de la place que l’agriculture devrait avoir dans l’économie cubaine. L’idée très étrange fut présentée de ne pas avoir comme objectif final le profit économique mais le développement holistique de l’être humain.
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Encore plus surprenant, ces professeures ont dit la nécessité de Cuba de prendre soin du secteur primaire et perçoivent l’importation de denrées de 1ère nécessité comme une aberration. Ces déclarations sont-elles dues au contexte socialiste particulier de ce pays ou pourraient-elles concerner tout pays indifféremment de son orientation politique ? Ces quelques paroles ont titillé mes oreilles de fille d’agriculteur.
La découverte de la réalité politique et sociale
Lors d’un atelier avec les leaders de différentes communautés religieuses sur la question des études genre, la situation sociale, politique et religieuse de Cuba a aussi été abordée. J’ai été impressionnée comme les gens ont parlé très ouvertement de leur situation. Certains ont même parlé d’une manipulation de la part des dirigeants. D’un point de vue extérieur je ne peux que leur donner raison, car il n’y a dans la rue de la publicité que pour un seul produit : le parti politique. Chaque slogan désire démontrer la beauté du système et encourage les gens par exemple à être solidaires et à garder leurs valeurs face à la crise du monde capitaliste. J’ai trouvé très surprenant d’entendre parler du concept de la révolution comme programme politique et non comme moment bref dans l’histoire d’un pays.
Lors de ma préparation à mon séjour à Cuba, j’avais lu un article qui présentait les questions de logement, de transport et de la nourriture comme les trois plus grands problèmes de ce pays. J’en ai eu confirmation dès les premiers jours à La Havane. En effet, les bus sont bondés et le long des routes est peuplé de personnes qui attendent un moyen de locomotion. Ils attendent parfois des heures avant qu’une voiture s’arrête. J’ai pu me rendre compte en rendant visite à des Cubains, que cette promiscuité expérimentée dans les bus de La Havane, ils la vivent au quotidien chez eux. La grande crise du logement oblige plusieurs générations à vivre sous un même toit. Dans chaque pièce d’un appartement, il y a un ou deux lits, les murs séparants les pièces ne montent souvent pas jusqu’au plafond et les portes n’existent pas. Point d’isolement ni d’intimité possible...
Les formations : remplissage de ma boîte à outil
Tout au long de mon séjour j’ai eu la chance de pouvoir assister à différentes formations comme spectatrice ou comme participante : éducation populaire, cours de théologie pratique au séminaire évangélique de théologie de Matanzas, formation biblique pour les moniteurs d’école du dimanche etc... J’ai été très heureuse de découvrir ce qu’est l’éducation populaire, une méthode de formation très utilisée en Amérique Latine, qui met l’accent sur la construction du savoir de manière collective. Associée à certains préceptes pédagogiques que j’ai eu l’occasion d’étudier durant mes études, elle me donne d’importantes clefs pour mon futur travail au Mexique. Le cours de théologie pratique sur le développement de l’être humain et ses implications pour la pédagogie de la religion a également suscité mon intérêt. Si le sujet m’était connu d’un point de vue européen, les auteurs abordés ne l’étaient absolument pas. Comme quoi, on n’a jamais fini d’apprendre en théologie ! Ma boîte à outils a ainsi gentiment pris forme, je me réjouis de découvrir la réalité qui m’attend au Mexique et de me mettre au travail !
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Une surprise de taille
Justement en parlant de la réalité qui m’attend au Mexique... les dix premiers jours de formation à Cuba auront aussi été l’occasion de faire la connaissance de trois futurs collègues : Noé, le responsable du cours à distance en théologie du séminaire baptiste, Timoteo et Alberto qui vivent à Zongozotla et ont des responsabilités dans leur église. Ce temps passé ensemble a permis de commencer à nous apprivoiser, de tisser des liens et d’envisager avec confiance la future collaboration. Néanmoins, cette rencontre m’a réservé une grande surprise quant à mon séjour au Mexique qui n’est certainement pas la dernière. Après quelques mois d’apprentissage intensif d’espagnol, j’étais très heureuse de me débrouiller dans cette langue et avoir ainsi plus de chance de me faire comprendre et de discuter avec les personnes que j’aurai à côtoyer au Mexique. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que la langue parlée par la communauté dans laquelle je passerai une partie de mon temps est ... le totonaco. Vous avez dit le ...? Oui, le totonaco ! Une langue indigène parlée par 200’000 personnes dans la région Veracruz-Puebla et qui ne ressemble en rien aux langues latines ou germaniques que j’ai apprises jusqu’ici. Toute la vie sociale de ce village, mais aussi le culte, est en totonaco et si les jeunes parlent l’espagnol, ce n’est pas le cas d’une grande majorité des adultes. Un nouveau challenge à l’horizon ?
A vos marques?
Mon séjour à Cuba a été riche en découvertes qui me seront très certainement utiles pour la suite de mon aventure, riche également en rencontres que je n’oublierai pas de si tôt.
Prêt(e) ? Un temps pour découvrir le Mexique
La course n’a pas encore commencé ! Pour débuter mon séjour au Mexique et afin d’avoir l’occasion de découvrir les réalités diverses de ce pays, avant d’en faire partie pour deux ans, j’ai pu participer à la session de formation continue des pasteurs suisses « Du piment dans la mission de l’Eglise ». Ce voyage nous a amenés à passer quelques jours à Mexico City avant de nous envoler pour le Chiapas où une semaine intense de formation nous attendait.
Les journées ont été bien chargées tant au niveau de l’emploi du temps que des découvertes que nous avons faites. Au fil des ateliers et des interventions d’habitants du Chiapas, nous avons été à chaque fois un peu plus confrontés à des situations douloureuses de discrimination et de violence, bref d’injustice évidente. Comment est-ce possible qu’il y ait tant de personnes vivant dans la misère, pour certains sans eau courante ou électricité, alors que le Chiapas est l’état qui produit le 54% de l’énergie du pays et contient de grandes richesses en eau? Et puis, nous avons été confrontés à la question de notre propre responsabilité dans le phénomène de globalisation qui se développe certes au profit de certains, mais aussi aux dépens d’autres personnes, le Chiapas étant producteur de café que je consomme peut-être en Suisse.
Le Mexique est un pays pluriel grâce aux différentes cultures indigènes. Il y a environ 48 millions de personnes de 54 ethnies et qui ne parlent pas moins de 62 langues différentes. Et pourtant, il n’y a pas de reconnaissance réelle par l’état de cette richesse, et aucune politique de soutien aux cultures indigènes n’est offerte. La dévalorisation de ces cultures et la marginalisation de ces ethnies les ont menés à se retrouver dans les statistiques les plus sordides au niveau national. En effet, les 50 millions de pauvres et les 20 millions de personnes dans la misère que compte le Mexique sont constitués en grande partie, si ce n’est entièrement, par les peuples indigènes (93% des indigènes seraient en situation d’extrême pauvreté).
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Et la stratégie pour améliorer les statistiques et faire baisser le taux de chômage est très vicieuse, que dis-je, ironique ? Dernièrement, le président a déclaré que les vendeurs le long des routes ne sont pas des gens sans emploi, parce qu’ils ont chacun une petite entreprise en vendant des articles aux chauffeurs et passagers des voitures. A savoir s’ils gagnent le salaire minimum de 50 pesos (5 frs) par jour ? J’en doute !
Les images de maisons en bois ou en tôle sur le bord de la route qui, je le sais pertinemment, n’ont pas l’eau courante, pas d’électricité, pas de douche ni de vraies toilettes, la vision de femmes qui lavent leur linge à l’ancienne et des enfants qui courent sur des routes en terre battue, qui ne vont peut-être pas à l’école, resteront gravées dans ma mémoire. Du piment dans la mission de l’Eglise ? Certes, mais peut-être pas celui que nous aurions désiré... Oui cela aura été un temps qui dérange, qui perturbe ! Un temps qui m’a mis concrètement sous les yeux des situations d’injustice. Ce n’est maintenant plus une vague notion contre laquelle se battre, mais l’injustice a reçu un visage, elle s’est incarnée dans ces personnes que j’ai rencontrées au Chiapas. Un temps qui me perturbe profondément et intimement, car je sais que je vais partager, durant une partie du moins, une condition semblable. Certes, j’ai toujours été révoltée par l’injustice, mais suis-je prête à partager ces conditions de vie plus difficiles (pour une Européenne habituée à un certain confort) ? Suis-je prête à intégrer cette expérience dans mon histoire ? Prête ? Prête !
Partez ! Un temps pour vivre de grands contrastes
Voici un mois que j’ai vraiment déposé mes valises à Mexico, après un peu plus de six semaines de voyages et découvertes. J’ai eu depuis l’occasion de faire connaissance avec l’organisme qui m’accueille et de discuter de mon travail avec ses responsables. En voici un aperçu :
Le Séminaire Baptiste de Mexico
1972 est une date décisive pour le Séminaire Baptiste de Mexico (SBM), car cette année-là, la décision est prise de se concentrer sur le travail avec les communautés indigènes, en ayant comme souci premier de traiter des questions identitaires indigènes. La base ecclésiale à laquelle le SBM propose ses services de formation est le CICEM (le Conseil indigène paysan évangélique du Mexique) regroupant des Eglises baptistes et pentecôtistes et qui est divisé en 6 zones culturelles -linguistiques : mazahua, popoloca, mixteca, tsotsil, tseltal et totonaca/ nahuatl. Le SBM offre un cursus de formation à Mexico City (bachelor et licence en théologie) ainsi que la possibilité de suivre une formation biblico-théologique à distance, destinée aux pasteurs et membres des églises du CICEM.
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Mon travail
C’est dans le projet de la formation biblico-théologique à distance que je vais m’intégrer durant ces deux prochaines années. J’ai eu l’occasion d’observer lors des différentes visites que j’ai faites dans quelques-unes des zones du CICEM que les pasteurs et responsables d’église n’ont généralement que peu de connaissances bibliques- théologiques et encore moins d'outils pour faire leur travail. En effet, les prédications sont bien souvent une répétition du texte biblique sur la base d’une compréhension littérale de ce dernier et aucune actualisation n’est proposée. De plus, certaines de ces communautés ont une tendance « apocalyptique », mettant l’importance sur un au-delà meilleur et ne se souciant pas vraiment de la réalité présente qui n’est qu’un passage obligé. La nécessité d’une formation des pasteurs de ces églises est grande, tout comme leur envie d’apprendre ! Mon rôle sera d’une part d’accompagner 3 églises de la zone Totonaca-Nahuatl dans ce processus de formation dans le but d’apprendre à connaître la réalité de ces communautés et de voir quelle méthodologie est adéquate pour la formation dans ce contexte spécifique. En effet, mon mandat inclut d’autre part un travail de réflexion sur ce cours à distance, afin de proposer une optimisation de cette offre de formation qui puisse correspondre au mieux aux nécessités de ces églises.
Mes deux lieux de vie
Dès janvier, je partagerai mon temps entre Mexico City et Zongozotla à raison d’une dizaine de jours à la capitale et le reste du mois dans la Sierra Norte de Puebla. Je n’aurais pu avoir des lieux de vie plus différents l’un de l’autre. D’un côté, México City la jungle urbaine avec ses 20 millions d’habitants, des maisons à perte de vue, un bruit constant nuit et jour et où la notion de distance possède une autre échelle qu’en Suisse, car il me faut une heure pour aller au centre ville. Et de l’autre côté, Zongozotla, un humble petit village construit à flan de montagne dont la majorité des 4000 habitants se consacrent à la culture du café.
Il n’y a pas de doute, mon engagement avec DM-échange et mission sera un temps pour vivre de grands contrastes et qui sera également rempli de défis, comme mon intégration dans ce village parlant la majorité du temps le totonaco ou la réussite de mon accompagnement de ces églises pour la formation biblico-théologique. La course a commencé, c’est parti !
Il y a un temps pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel, dit Qohélet... Le temps de l’Avent est déjà bien entamé et bientôt se pointe à l’horizon Noël ! Que cette fête puisse être un moment de paix et de repos pour chacun d’entre vous, mais surtout, je vous souhaite de pouvoir le vivre pleinement !
Je vous envoie mes meilleures salutations de Mexico !
Sarah
PS I : Pour voir l'intégrale des photos pour accompagner mon récit
http://s951.photobucket.com/albums/ad360/saba-mexico/Mexique%202009/Sierra%20Norte/
PS II : Une proposition cinématographique qui présente une problématique actuelle du Mexique : Los que se quedan (Mexico, 2008, dirigé par Juan Carlos Rulfo & Carlos Hagerman).
Cette lettre vous est adressée par l’organisation DM-échange et mission, qui rend mon engagement au Mexique possible. Je vous remercie pour chaque don qui permettra d’ajouter une pierre à la construction de mon projet.
Pour soutenir le travail de Sarah Badertscher au Mexique, utilisez le bulletin de versement joint, ccp 10-700- 2, avec la mention de son nom. D'avance un grand Merci!
DM-échange et mission, Ch. des Cèdres 5, 1004 Lausanne, 021 643 73 73, secretariat@dmr.ch

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